2014
Migratio
Passage d'un lieu à l'autre
« Y así seguimos andando
Curtidos de soledad
Nos perdemos por el mundo
Nos volvemos a encontrar ».
Atahualpa Yupanqui
Théâtre Pitoëff, 52 Rue de Carouge, 1205 Genève
Représentations à 19h00 et dimanche à 17h00
Tarif : 25.-/18.-
C’est un intense moment de poésie que nous propose le spectacle « Migratio » de Laura Tanner. Sur un thème délicat et brulant d’actualité, usé et mésusé, la chorégraphe parvient à dégager un monde puissant et vivant loin de toute violence et crispation identitaire. En effet, s’il est bel et bien question de migration, c’est au sens premier du terme, le déplacement. Ainsi, lorsque les spectateurs pénètrent dans la salle, les trois danseurs déjà sur scène, arpentent l’espace selon une démarche qui fera leitmotiv tout au long du spectacle.
La scène se joue avec pour décor une photo montage de personnes en marche qui traversent l’objectif de la chorégraphe dans une rue de Barcelona, ville vénézuélienne au sud de Caracas, la musique, une habanera - ancêtre du tango- interprétée par l’Orquestra de Cheo Belen Puig et en voix off, les passages lus et écrits par le scientifique Jean-Claude Ameisen. Il démêle les mots, revient à leur origine, à leur étymologie grecque et latine mais aussi à leurs résonnances allemande ou espagnole, contemporaines du présent en cours.
Tout le spectacle se fait autour de cette mobilité humaine. On pense à l’homme qui marche de Giacometti sauf qu’ici - 50 ans plus tard- l’être humain est désormais toujours, déjà un être en groupe, un être dans la foule, un être dans la masse. « Migratio » nous emmène ainsi dans les méandres du monde tissé et métissé, dans un monde où le mouvement incessant semble être la condition d’une recherche, celle de l’autre qui se décline forcément avec la recherche de soi passant par la recherche de l’autre en soi.
Sur la musique envoutante de Atahualpa Yupanqui, entrecoupée de longs silences et de sons du ressac de la mer, on en revient – inévitablement - aux alliances premières du corps au souffle, du corps au geste, du corps au rythme.
Laura Tanner signe avec« Migratio » un spectacle délibérément contemporain au sens où Giorgio Agamben en parle : « est contemporain celui qui reçoit en plein visage le faisceau de ténèbres qui provient de son temps ».
Hélène Upjohn, Genève, décembre 2014
Laura Tanner propose sa dernière création sur le thème du départ et du regret.
Il faut se rendre sans tarder au nouveau rendez vous de Laura Tanner avec la scène. Le trio « Migratio » est placé sous le signe d’un état d’âme que bien des habitants de Genève connaissent. C’est la nostalgie des lieux et des gens que l’on a quittés pour chercher ailleurs un sort meilleur. Une nostalgie qui imprègne le nouveau spectacle de la chorégraphe.
Les trois interprètes de « Migratio » sont Erin O’Reilly, en tutu ancien façon Degas, Frank Kohler et Ismael Oiartzabal, tous deux vêtus comme de simples passants. Des badauds comme ceux que l’on aperçoit en fond de scène, photographiés par Laura Tanner au Venezuela, lors de la récente tournée de sa compagnie. Elle a eu l’idée là-bas de cette pièce sur l’éloignement, évoqué à la fois par la danse et par quelques extraits d’un texte d’une brillante simplicité, dû au médecin philosophe Jean-Claude Ameisen. Il nous rappelle l’étymologie du mot nostalgie : du grec nostos, retour, et algos, douleur. En un mot, la tristesse qui saisit celui dont le retour n’est pas pour demain.
Les passants de « Migratio » passent, évidemment, marchent, tournent, se croisent. Quand ils se rencontrent, leurs étreintes sont brèves. Ils ont l’air graves. La jeune femme, avec son allure de poupée lasse, se laisse porter sans joie sur les airs à la fois rythmés et puissamment mélancoliques d’un vieil orchestre de danse cubaine. Les deux hommes composent avec leur partenaire et la musique un climat très prenant qui envoûte.
Benjamin Chaix, La Tribune de Genève, novembre 2014
Production : Compagnie Laura Tanner.
Avec le soutien du département des Affaires Culturelles de la Ville de Genève, du département de l’Instruction Publique de l’Etat de Genève, de la Loterie suisse romande, de la fondation Ernst Göhner, du Fonds Mécénat S.I.G et du Fonds d’encouragement à l’emploi des intermittents genevois